Comme notre ami Quentin, je me mets moi aussi en mode citoyen-média et j’apporte mon grain de sel en forme de dialogue ouvert avec ce qui à été dit ici et là.
(Versão portuguesa disponível aqui)
Le Brésil n’est pas, et ne sera sans doute jamais, un bloc uniforme. Jusqu’à peu, il était encore l’un des champion en termes d’inégalité et les divers mandats de la gauche PT de Lula et Dilma auront certes fait peser la balance du côté des exploités, mais sans jamais remettre fondamentalement en question un système économique – le capitalisme financiarisé – dont le principe fondamental consiste en la marchandisation croissante des droits humains, jusqu’aux hommes eux-mêmes et à l’exploitation d’une majorité par une minorité.
La réaction d’une partie des 200 millions d’habitants que compte le pays est une chose spectaculaire, historique à mon sens. Dans un pays qui a connu la dictature et l’ingérence États-Unienne durant des décénnies, un tel vent de révolte me paraît sain et salutaire. Il prouve que le pays ne dort pas et que la démocratie y est vivante. On repensera ici au commentaire de notre compatriote Jérôme Valcke, secrétaire général de la Fifa, aussi imbécile qu’il est français, qui nous rappelait comment l’organisation d’un évènement mondial comme la coupe du monde et les investissements qui étaient nécessaires à son organisation entraient en totale opposition avec le respect de la population du pays qui l’accueille et donc de la démocratie. On ne saurait lui donner tort ici.
Une partie du peuple est donc descendu dans la rue. Elle n’a pas aimé les 20 centavos de plus qu’on lui prenait dans la poche sans lui demander la permission. Elle a donc donné son avis sur la situation, à sa manière.
Comme tout mouvement populaire, toute révolution, ou tout mouvement social, il porte en lui-même ses propres contradictions. Qualifier le mouvement de Droite comme on peut l’entendre simplement à cause du fait que c’est majoritairement la classe moyenne, citadine, soignée et éduquée qui s’est en premier mobilisée, est ridicule lorsqu’on voit les revendications majoritairement progressistes qui sont défendues lors de ses mobilisations.
Progressive d’abord, car c’est bien de santé, d’éducation, de démocratie directe, de défense des droits des femmes, des salariés, des minorités, des noirs, des indiens… bref, la portée première est universaliste. Elle cherche à se défaire de la corruption qui l’empêche de redistribuer les richesses dont le pays est tant riche, et son peuple tant pauvre. La classe moyenne, certes est allé en école primaire et collège privés, possède un plano de saúde, et souvent une ou plusieurs empregadas. Mais ne demande-t-elle pas un accès meilleurs et pour tous aux SUS, les unités décentralisées de santé, sorte de maison de santé de quartier. Ne demande-t-elle pas l’élévation du SMIC qui, il faut le rappeler, est aujourd’hui à R$ 678 (260€) et est bien loin de permettre de louer ne serait-ce qu’une chambre dans les grandes villes comme Rio de Janeiro, Belo Horizonte ou São Paulo. La classe moyenne veut plus de professeurs dans le publique, et qu’ils soient mieux payer. Elle veut la fin de la criminalisation des mouvements sociaux, phénomène malheureusement bien connu en Europe et en France, et des choses aussi très hétéroclites comme le droit à l’avortement, la fin de certaines lois sur le statut légal du fétus, la laïcité etc.
La masse, comme je l’ai déjà expliqué, est hétérogène, et par définition sa colère a regroupé beaucoup de profils très différents. Ainsi serait-il tout à fait idiot de nier qu’une partie a des inspirations conservatrices, voire réactionnaires. Le rôle joué par les médias me paraît ici fondamental dans la construction du discours antirévolutionnaire qui est à l’œuvre, même chez le peuple de gauche.
Ainsi, sont tout d’abord montrées en boucle les scènes de violences des manifestants. Scènes qui servent dans un premier temps à décourager quiconque qui regarderait ces images de venir se joindre aux manifestations, et qui permet ensuite de délégitimer les manifestants, et d’une pierre trois coups, leurs revendications. Mais devant la violence, incontestable et incontesté (article abonnés) des forces de l’ordre, que nous allons bientôt évoquer, les médias dominants, dont la Globo, ont changé leur stratégie. En effet, la Globo, avec le monopole d’audience/de moyen dont elle dispose qui est en soi suffisamment caricatural pour ne pas avoir à s’étendre beaucoup plus sur le sujet (cf. « En Amérique latine, des gouvernements affrontent les patrons de presse » – article dispo ici), à pu voir dans les évènements une protestation contre la présidente Dilma et pour une alternance. Inutile de dire qu’elle est clairement situé à droite donc, ce qui n’étonnera personne lorsqu’on connait son histoire et que l’on sait – il est toujours bon de réveiller les souvenirs enfouis – qu’elle a soutenu le coup d’État de 1964, coup d’État encore aujourd’hui célébré comme une révolution du côté des militaires.
La Globo comme les autres, ne pouvant plus nier l’importance de la mobilisation, a donc commencé par choisir ses leaders, dans l’objectivité que l’exercice libre de la profession oblige, bien sûr. On a donc vu apparaître, le « nouveau brésil », le « géant qui se réveille » et autres distorsions complètement orientées vers une espèce de nationalisme totalement dépolitisé en façade, en réalité politisé à la droite de la droite. Il faut le dire, la Globo est très bonne dans ce qu’elle fait. Elle s’est mise au travail, et le résultat est à la hauteur de ce qu’elle sait sans doute faire de mieux.
Les médias, alliés bienveillants des groupes de droites et d’extrême droite qui tenteront d’infiltrer les manifestations, sont donc conspués dans la rue, à raison selon moi. Les journalistes de la chaîne sont ainsi forcés de se cacher et d’enlever leur signes, sous risque de recevoir des pierres… La boucle est bouclée. Après être violent contre la police, les « mauvais » manifestants, ceux qui ne portent pas la bannière Jaune et Verte si vous suivez bien, sont donc désormais contre la liberté de la presse. Mais que fait la police ?
Et bien la police, elle aussi, en bonne élève qu’elle est, elle travaille. Et dur. Aussi dur qu’elle le peut. Aussi dur qu’un coup de matraque sur un crâne d’hippie-à-fleur. Elle gaze, elle frappe, elle poursuit sans relâche, jusque dans les ruelles, elle jette les fameuses bombes sonores qui vous laisserait à genoux un habitué des rave l collée aux enceintes; aussi la police interpelle, arrête, ici 40, là 50 personnes, elle est aussi prise en flag quand elle relâche ses collègues infiltrés… Tellement pas discrète qu’on lui colle une enquête sur le dos. Il faut dire que la police, elle est militaire. Ce qui est là encore l’objet d’une revendication de la part de différentes organisations qui défilent ces dernières semaines : sa démilitarisation simple et totale.
Si le mouvement, qui peut rappeler celui des indignados en Espagne, est (encore) désordonné, peut-être le restera-t-il, il n’en a pas moins des revendications, des mots d’ordres et des projets politiques. Le gouvernement tente, tant bien que mal, de contenir la colère et de faire migrer l’agenda vers une réforme politique et en sous-poudrant quelques millions ici et là…
Parmi les diverses revendications, on a celle du Fórum de Lutas contra o aumento da passagem, concrètes, qui sont défendu à Rio par exemple concernant :
- Transports gratuits;
- Arrêt des privatisations dans les secteurs de l’éducation, la santé, le sport, les transports;
- Arrêt de la criminalisation des mouvements sociaux;
- Fin de la répression et démilitarisation de la Police;
- Démocratisation de l’information et fin des monopoles;
Ce qui ne correspond pas du tout au projet de réforme prévue par Dilma. Rappelons que le Brésil est un État fédéral et que la plupart de ces revendications concrètes concernent les États fédérés. À suivre donc… Je peux déja vous dire que la journée de la finale de la coupe de la confédération qui va avoir lieu au Maracanã de Riode Janeiro risque fort d’être annimée.
Faisons le pari aussi que la pression populaire arrivera à imposer une vraie reforme de la constitution qui pourrait comprendre les exigences citées ci-dessus, auxquelles se joindraient d’autres exigences populaires en relation au droits des salariés, des indiens, au racisme ou à la défense des droits des femmes. Pour cela, l’assemblée constituante chargée d’écrire une nouvelle constitution devra donc être formée au sein du peuple et élue par lui. À part le pouvoir politique lui-même, à qui viendrait l’idée de laisser le pouvoir politique décider des règles qui devraient lui être appliquées par la suite ?
Si révolution citoyenne il y a, le Brésil se dirigerait alors vers une nouvelle ère démocratique. Celle où le débat ne serait plus étouffé par des jeux institutionnels et médiatiques obscures mais où la confrontation d’idée permettrait à des projets de sociétés nouvelles d’exister, à côté des anciens, et peut-être, je le souhaite, les remplacer.
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